Quel pouvoir d’influence que celui d’Elizabeth II alors qu’elle n’avait aucun pouvoir de décision politique !
L’investissement plein et entier d’Elizabeth II dans son rôle de symbole royal tout au long de sa vie aura conduit 100 chefs d’Etat et de gouvernement issus des quatre coins de la planète à se rendre à son enterrement, sans doute le plus grand rassemblement diplomatique de ce siècle !
La disparition de la reine m’a amenée à reconsidérer l'image que j’avais d’elle au travers de ses démêlés avec la famille royale, pour la redécouvrir à travers les capacités de leadership dont elle a fait preuve .
Mais quel était le style de leadership d’Elizabeth II ?
Pour le savoir, j’ai passé en revue chacune des 7 capacités clés du leadership de la formation que nous animons, Devenir un leader apprenant *
Porter une vision et des valeurs
Très jeune, Elizabeth a indubitablement été portée par une vision et des valeurs. A 10 ans, après l’abdication de son oncle Edward VIII et le couronnement de son père George VI, elle sait qu’elle sera le successeur du trône et s’y prépare. A 20 ans, avant même d’être couronnée, elle déclare : “Toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service”.Elizabeth envisage son devoir de reine comme une sorte de sacerdoce, et comprend très tôt ce rôle symbolique : “mon père m’a appris que chacun de mes mots et chacun de mes actes resteraient gravés dans les mémoires”.
Dès lors, elle sera attentive à incarner cette vision de son rôle et à la manifester à travers des événements clés tels que son couronnement, les discours de Noël, les réceptions et les visites aux chefs d’Etat étrangers, les anniversaires, mariages, jubilés, et même les enterrements. Par le biais de ces rituels, elle a apporté aux britanniques des repères, un ancrage, de la sécurité psychologique ainsi que de grands moments d’émotion et de communion joyeux ou tragiques, souvent partagés avec la planète entière, assurant à son royaume un rayonnement exceptionnel.
Etre authentique et reliée à son expérience personnelle
Elizabeth II a eu dès son plus jeune âge beaucoup d’atouts pour affirmer son leadership grâce à son tempérament, la confiance que je qualifierai d’inconditionnelle donnée par son père le roi George VI, une légitimité totale due à son statut de primogéniture et un conjoint et un entourage sur lesquels elle a pu s’appuyer. De ce fait, il semblerait qu’elle ait endossé son rôle de reine sans se poser trop de questions sur le fait d’être une femme, alors que rares étaient les femmes en position de pouvoir à cette époque. Elle avait sans doute en tête l'exemple de la reine Victoria qui l'avait précédée en restant plus de soixante-trois ans sur le trône et qui devint le ciment de l'Empire britannique.
Outre son goût affiché pour la nature et les animaux, ses chiens et ses chevaux, Elizabeth II nous aura marqué par son style d’habillement unique, en quelque sorte sa marque de fabrique. Jeune et jolie femme, elle assume totalement sa féminité dans des robes qu'elle arbore avec naturel et élégance. Plus âgée, elle adopte un style qui a pu être considéré au départ à la limite du kitsch et du ringard, mais qu'elle a su assumer et imposer avec un parti pris de couleurs vives, joyeuses, faites pour être remarquées. En cela, elle s’est approprié ce que la Reine Victoria écrivait à son fils le futur Edward VI : “les vêtements sont un sujet sans intérêt mais ils sont aussi le seul signe extérieur par lequel le peuple peut juger l’intérieur d’une personne. C’est pourquoi c’est une chose essentielle”. Elizabeth a su révéler à l'extérieur deux facettes de sa personne, un côté classique et austère mêlé à la gaieté et à l’optimisme. The clothes power.
Privée de la possibilité d’exprimer son opinion, Elizabeth a malgré tout réussi à exprimer son authenticité et son charisme dans ses rôles de représentation. Consciente d’être un symbole vivant, elle a su se faire entendre par toute sa personne, son corps, son attitude à la fois retenue et proche, son sourire ou son regard noir. Plus que ses discours formels et convenus, ses petits signes de la main distribués depuis son balcon, sa voiture ou ses carrosses ont marqué le monde entier. Moi-même, je l’ai vu passer deux fois en voiture lors de ses visites à Paris, et j’ai été enthousiasmée de rencontrer son regard.
Elle a témoigné d’une véritable présence à ses interlocuteurs tout en conservant une distance liée à la mission qu’elle incarnait sans se priver de quelques notes d’humour très british…
Poser la loi et décider
Difficile de poser sa loi lorsqu’on doit rester politiquement neutre et ne rien décider en la matière. En effet, dans la monarchie parlementaire britannique, le pouvoir législatif appartient à la Chambre des communes et des Lords et l’exécutif est exercé par le Premier Ministre et son Cabinet. Le rôle d’un monarque est avant tout représentatif et son pouvoir se limite à consulter, encourager, mettre en garde.
C’est en appliquant à la lettre le rôle qui lui était dévolu qu' Elizabeth affirmera son leadership.
Auprès de chacun des 14 Premiers ministres qui se sont succédés, pas une prise de position politique n’a affleuré, même si on devine ses plus ou moins grandes sympathies vis-à-vis de chacun d’entre eux. Pour autant, elle aura offert à ses ministres, semaine après semaine, en les écoutant attentivement, un précieux temps de prise de recul et de réflexivité.
Être chef d’Etat des pays du Commonwealth fut aussi une de ses grandes tâches. Sans pouvoir de décision politique là encore, elle joua un rôle diplomatique incontestable. Son influence passant par ses voyages, ses discours, son comportement dans ses relations avec les dirigeants et les peuples qui l'accueillent.
Elle assumera aussi le rôle de chef suprême de l'Église anglicane, avec Dieu seul au-dessus d’elle, et se trouvera sans doute limitée par la doctrine de l’Eglise dans sa sphère privée…
C’est en effet dans le seul domaine de la sphère familiale qu’Elisabeth peut poser sa loi et décider en tant que mère, sœur, épouse, grand-mère... Mais le rôle monarchique de représentation influera fortement sur ses décisions et mèneront malheureusement à beaucoup de souffrances voire à des destins tragiques… Elle confie l’éducation de Charles à Philip son mari et son oncle, en l’envoyant dans une pension très dure que Charles regrettera amèrement. Le mariage de sa sœur Margaret avec un homme divorcé sera rendu impossible. Elle impose à Charles la jeune Diana alors qu’il aime Camilla, déjà mariée. Les six jours de silence avant de s’exprimer sur la mort de Lady Diana passeront pour de l’indifférence. L’agacement de voir son petit-fils Harry et sa femme Meghan renoncer à leurs fonctions royales pour “rompre le cycle” de la pression des journalistes sur leur vie privée. AvecElizabeth, on a l’impression que la raison triomphe toujours sur le sentiment et les émotions.
En termes de leadership, on voit là une réelle faiblesse et on regrette qu’elle n’ait pas pu mieux intégrer ses émotions et les besoins de sa famille dans ses décisions.
Innover, challenger le statu quo
C’est un understatement que de dire que la principale qualité de leadership de la reine n’est sans doute pas d'avoir innové ou challengé le statu quo.…
C’est plutôt une grande adepte de la tradition reflétée dans une manière d’être plutôt conservatrice. C’est à travers cette posture qu’elle a conservé vivante cette tradition monarchique et qu’elle a pu la transmettre. Restera à ses successeurs d’être plus créatifs et d’y apporter de l’innovation.
Sans innover, elle se montrera néanmoins capable d’évolution sous le coup des événements et des critiques.
Ce fut le cas lorsqu’en 1957, Lord Altrinchmam lui reprocha de lire mécaniquement des discours dépourvus d’intérêt et d’être entourée d’une “clique de hobereaux en tweed”. La reine rajeunira alors son entourage et peaufinera ses discours. Ou encore lorsqu’elle fut accusée de froideur lors du décès de Lady Di, elle sut reconquérir sa popularité en se montrant plus chaleureuse vis-à-vis de la population britannique et en autorisant son fils Charles à se marier à Camilla.
S’appuyer sur les autres
Figure tutélaire, ce sont plutôt les autres qui s’appuyèrent sur Elizabeth II tant sa puissance était forte. Ainsi, en 2020, alors que la pandémie du COVID fait rage, elle adresse un message calme et fédérateur. Elizabeth a néanmoins su s’appuyer sur les autres : son mari Philip, avec lequel elle s’est mariée par amour, qui a eu l’idée de diffuser à la télévision la cérémonie de son couronnement en 1953 ; sa famille Windsor à laquelle elle était profondément attachée malgré tous ses démêlés sentimentaux ; ses conseillers restés dans l’ombre qui l’assistèrent dans ses tâches de monarque; son premier mentor le premier ministre Winston Churchill.
Et s’appuyer sur les autres, c’était aussi s’appuyer sur son peuple et cultiver tout au long de son règne sa popularité.
En revanche, dans le domaine des interactions avec sa famille, on regrette qu’elle ne se soit pas plus appuyée sur l’ensemble de ses membres pour établir des principes en commun (un peu comme une charte familiale le ferait) pour éclaircir l’espace personnel de chacun concernant sa vie sentimentale et sa vie privée au regard de ses devoirs vis à vis de la monarchie.
Tenir dans la durée et dans l’adversité
Qui pourrait mieux incarner “Tenir dans la durée et dans l’adversité” que la Reine Elizabeth II ? Qui, parmi les dirigeants, continue d’être respecté et pris au sérieux à 96 ans ? Qui recevrait, deux jours avant sa mort, la nouvelle Première Ministre Liz Truss ? Le sens du devoir et la vision exprimée à 20 ans, “toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service” ont porté la Reine au-delà de toute limite d’âge. A 96 ans, elle continuait à exercer l’autorité royale. “C’est un emploi à vie” avait-elle dit !
Atteindre un résultat
Le résultat du règne de la reine Elizabeth II est évidemment là : une institution monarchique qui n’est pas remise en question ni dans le pays, ni à l'extérieur, une popularité écrasante dans le Royaume-Uni, et une aura mondiale, notamment avec le Commonwealth, qui dépasse largement le rayonnement des Premiers ministres anglais. Malgré le gros bémol sur l’entente familiale, Elizabeth aura laissé à son successeur Charles III une tradition monarchique prête à perdurer.
En conclusion, au vu de cette grille de lecture des sept capacités du leadership issues de la formation Devenir un leader apprenant, Elizabeth II peut être qualifiée de “role model” dans un style de leadership bien à elle, même si elle aurait pu gagner à développer l’intelligence émotionnelle et l’intelligence collective dans ses décisions familiales et s’aventurer à challenger le statu quo.
A son successeur Charles III de trouver et d'assumer son propre style de leadership. “Il faut mûrir un rôle que l’on s’habitue à jouer” confiait la reine.
- Devenir un leader apprenant, une formation au leadership créée par l’équipe de coachs Smiling Transitions @EmilieBonamy, @AstridJudmaier, @NathalieFrezouls, @PierreBarnydeRomanet, @VirginieMayolle, @DavidPolice, testée par @AnneRenault, soutenue par @Jean-RaoulSintès et animée par ELB Conseil