Comment identifier le ou les “bons” successeurs. Comment aborder la question avec ses descendants ? Quelles sont les clés d'une entrée réussie dans l'entreprise ?
Pour le savoir Emilie Bonamy d'ELB Conseil a interviewé Bertrand Burger et ses deux enfants et a relevé les points forts de cette expérience lors d'une plénière du FBN. En 2021, Bertrand Burger passait le flambeau de la belle ETI Burger et cie à ses deux enfants tout en devenant le Président du Conseil de Surveillance, Paul et Lou Burger étant aujourd'hui Président et Directeur général de Burger et cie et dirigeant chacun une unité opérationnelle.
Emilie Bonamy : Bertrand Burger, vous représentez la 4 ème génération de dirigeants de l'entreprise familiale Burger et cie. Est-ce que votre entrée dans l'entreprise a été un choix et comment avez-vous démarré ?
Bertrand Burger : A priori ce n’était pas vraiment un choix parce que je suis le second. Il y a 50 ans, à l’époque, dans l’histoire de l’entreprise, c’était le fils aîné qui reprenait, et c’est mon frère aîné qui était destiné à entrer dans l’entreprise. Il a commencé par prépa HEC, et son prof de philo lui a dit, « qu’est-ce que tu fous là », il faut faire normal sup, et faire de la philo. Mon père a accepté qu’il fasse ce choix là puisque c’était un choix volontaire.
Moi, je ne pensais pas avoir mon bac, et je l’ai eu, je n’avais pas prévu, mais parents m’ont inscrit à l’école du bois à Paris comme je ne savais pas quoi faire, j’y suis allé. Je me suis retrouvé avec pratiquement que des fils de dirigeant qui étaient tous là pour se préparer à la reprise. Tandis que moi, j’étais très séduit par Paris la nuit et je ne me pensais pas du tout capable de reprendre l’entreprise. Par contre, l’été, je devais venir bosser.
J’ai travaillé tout l’été et comme mon père était un peu fatigué, au lieu de continuer mes études, j’ai travaillé sur les nouvelles activités, petit à petit.. J’ai eu un père qui m’a fait une confiance totale et qui m’a transmis les rênes très rapidement. En 1985 il a pris sa retraite, il avait 60 ans. Il a gardé la présidence, mais il m’a laissé totalement la direction opérationnelle et en 1995 pour ses 70 ans, il a transmis les titres.
L'analyse des facteurs clés de succès
- Il existait dans l’entreprise Burger une tradition de transmission de l’entreprise familiale de génération en génération
- Le père de Bertrand a respecté le choix de son fils aîné de s’orienter en-dehors de l’entreprise, ce en rompant avec la “tradition”
- Le père a donné toute sa confiance à Bertrand.
- Bertrand s’est fait confiance et a complété sa formation initiale en apprenant sur le terrain.
Emilie Bonamy : Paul tu es le premier de ta génération à être rentré dans l’entreprise, Comment cela s'est-il passé ?
Paul Burger : Par malice de mon père ! Moi aussi j’étais à Paris, j’ai fait des études de bois et des études d’économie à Assas, je prolongeais mes études et ça me plaisait bien.
Mais il a eu l’intelligence de me dire, alors que je n’avais pas d’expérience professionnelle “il faut que tu testes, viens, tu vas t’occuper du web”. Mon père revenait d’un voyage avec un collaborateur, qui lui avait dit “il faut que ton fils te voit quand tu es encore actif, que tu es jeune”.
Je me suis occupé des sur-stocks, et ça a été un coup de foudre progressif, pas immédiat. J’ai vu que c’était une entreprise qui marchait déjà très bien, que j’arrivais avec un oeil neuf, j’ai compris que j’avais là la possibilité d’être un chef d’entreprise, que je ne dépendrai de pas grand-chose d’autre que de la météo, et que si quelque chose n’allait pas, je ne pourrai le reprocher qu’à moi-même. Ce que j’aime chez un chef d’entreprise c’est qu’il ne dit pas « c’est pas ma faute », et qu’il cherche des solutions.
Bertrand Burger : Je ne l’ai pas fait pour lui forcer la main, j’en ai vu beaucoup qui étaient conditionnés et ce n’était pas une bonne idée. Il vaut mieux que ce soit une volonté. Et moi j’avais 55 / 56 ans, et je me suis rendu compte que ça prendrait du temps de savoir quel était l’avenir de l’entreprise, et il ne fallait pas que j’attende la fin pour me poser la question, qu’il fallait du temps pour préparer les choses. Paul a pu venir comme çà, il n’y avait pas d’obligation. Par contre, il fallait qu’il passe un certain temps, ça pouvait être trois mois, six mois ou un an, pour qu’il puisse faire son choix. C’est difficile de faire son choix sans être dedans.
L'analyse des facteurs clés de succès
- Bertrand a montré qu’il avait une volonté sincère de laisser sa place un jour
- Bertrand n’a pas attendu qu’il soit “trop tard” pour inviter son fils à travailler avec lui, il a anticipé
- Bertrand a “provoqué la chance” en proposant à son fils de venir travailler
- Bertrand a incité son fils à travailler pendant une période suffisante pour qu’il puisse faire le choix d’y rester ou non.
- La période de “test” a été suffisante pour que Paul puisse y prendre goût
- Paul a été motivé par le sentiment de liberté et de responsabilité que peut avoir un entrepreneur
Emilie Bonamy : Lou, tu es rentrée six mois plus tard dans l’entreprise. Est-ce que tu avais déjà ce projet ?
Lou Burger : L'entrée de mon frère a compté dans ma décision. Moi aussi j’étais à Paris, et je n’étais pas du tout destinée à entrer dans l’entreprise. J’avais choisi une carrière toute autre, j’avais passé mon barreau à Paris et j’étais avocate en fusion-acquisition dans un cabinet américain. Je travaillais beaucoup sur une forme de transmission d’entreprise, pas familiale, du private equity. Au bout d’un moment, ça ne me suffisait pas d’être là seulement pour un moment clé de l’entreprise. On faisait de longs audits, on découvrait toute une société, et subitement un fonds arrivait par là, qui rachetait, qui restructurait, qui faisait des plans sociaux, qui dépiautaient l’activité, c’était des moments toujours délicats.
Je me suis dit, je suis dans le cas où il y a une entreprise familiale de mon côté, est ce que j’aimerais que ça nous arrive ? Est-ce que ça me suffit d’être au conseil de l’entreprise familiale ? Et bien non, c’est vrai que la réponse était assez claire, et donc c’est moi qui suis allée toquer à la porte en demandant s’il n’y aurait pas une petite place pour moi également. Heureusement mon frère était déjà arrivé, et moi six mois plus tard, je suis arrivée sur la partie administrative et juridique. Il n’y avait pas de service juridique et j’ai fait du conseil sur les gros contrats avec la grande distribution, les assemblées générales, etc. C’est comme çà que je suis rentrée en me disant et en disant à mon père, peut-être que je vais détester et dans un an je te dis je pars. J’avais besoin de garder aussi une porte de sortie, il fallait que je vois si ça m’intéressait et c’était le moment de le faire.
Bertrand Burger : A un moment, par hasard, on a eu l’opportunité de racheter un site à Chatenois. Comme c’était une activité plus récente, je prévoyais de prendre mon poste à Chatenois. Et juste avant de déménager, j’ai demandé à ma fille si elle voulait prendre ma place. C’est vrai qu’elle était plus sur la partie juridique et financière et pas tellement sur la production, les chantiers, etc. Elle m’a dit ok, ça s’est fait avec cette opportunité de déménagement et elle a pris ce positionnement de direction complète d’une activité complète.
L'analyse des facteurs clés de succès
- Lou a fait un choix de carrière et des études qui lui plaisaient au départ
- C’est à travers son expérience professionnelle qu’elle s’est intéressée à l’entreprise familiale
- Lou a pu constater qu'il valait mieux rester une entreprise familiale plutôt que d'être rachetée par des fonds.
- Bertrand a accueilli Lou les bras ouverts comme il l’avait fait pour Paul et lui a laissé le temps de confirmer son choix.
- Lou et Paul se connaissent bien en tant que frère et soeur et apprécient de pouvoir être deux à la tête de l’entreprise
- Bertrand a montré la même confiance à Lou qu’il avait reçue de son père et qu’il avait donné à Paul.
- Lou et Paul se sont fait confiance dans leurs capacités à apprendre et à apporter leur oeil neuf, leurs tempéraments et leurs compétences
En conclusion, c'est en créant les conditions et en saisissant les opportunités sans aucun forcing que Bertrand Burger eu le bonheur de voir ses deux enfants devenir ses meilleurs successeurs !